Le prêt illicite de main-d’œuvre et le délit de marchandage sont deux infractions sanctionnées pénalement par le Code du travail en raison de la « fausse sous-traitance » qu’elles dissimulent.
Il faut comprendre la « fausse sous-traitance » comme une organisation de travail aux intentions frauduleuses dissimulées derrière un contrat de sous-traitance en apparence légal.
En effet, les salariés mis à disposition se retrouvent sous la direction de l’entreprise utilisatrice pour réaliser des tâches. Or, dans une sous-traitance légale, l’entreprise prêteuse est liée par un lien de subordination aux salariés prêtés. L’entreprise utilisatrice ne doit jamais intervenir en tant qu’employeur de ces salariés.
Les cas de prêt illicite de main-d’œuvre et de délit de marchandage sont pourtant fréquents. Les motivations principales étant les gains financiers possibles en contournant les obligations légales relatives au paiement des cotisations sociales afférentes à la main-d’œuvre exploitée.
Nous verrons dans cet article les caractéristiques du prêt illicite de main-d’oeuvre qui se rapproche sur certains points de la notion de délit de marchandage.
Comprendre le prêt de main-d’oeuvre illicite : les contours juridiques
L’article L. 8241-1 du Code du travail définit le prêt de main-d’œuvre illicite comme « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre ».
À l’image du délit de marchandage, le prêt de main-d’œuvre illicite consiste en la mise à disposition de salariés d’une entreprise à une autre entreprise afin de rendre une prestation de services dont l’objectif est lucratif.
Le prêt de main-d’œuvre illicite se différencie néanmoins du délit de marchandage en ce qu’il ne nécessite pas les conditions du « préjudice causé au salarié ou de l’élusion de la loi ».
Autrement dit, deux conditions suffisent à caractériser le prêt de main-d’œuvre illicite :
- un prêt de main-d’œuvre ;
- un but financier.
Les prêts de main-d’oeuvre autorisés par la loi
Le Code du travail prévoit des exceptions à l’interdiction du prêt de main-d’œuvre. En effet, certaines activités dont le prêt de main-d’œuvre est à but lucratif sont autorisées.
Aussi, l’article du Code précise que :
« Ces dispositions ne s’appliquent pas aux opérations réalisées dans le cadre : (…) travail temporaire, aux entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin ; (…) » (article L8241-1 du Code du travail).
Les textes autorisent notamment le prêt de main-d’oeuvre à but lucratif :
- des entreprises de travail temporaire (articles L.1251-1 et suivants du Code du travail) ;
- des agences de mannequins (articles L.7123-1 et suivants du Code du travail) ;
- dans le cadre d’un groupement d’employeurs (articles L.1253-1 et suivants du code du travail) ;
- par une entreprise de travail à temps partagé (articles L.1252-1 et suivants du code du travail) ;
- par une association de services à la personne (articles L.7232-1 et suivants du code du travail) ;
- par une association intermédiaire (articles L.5132-7 et suivants du code du travail) ;
- par une entreprise adaptée (articles L.5213-1 et suivants du code du travail) ;
- dans le cadre du portage salarial (articles L.1254-1 et suivants du code du travail).
Distinguer le prêt de main-d’oeuvre licite du prêt de main-d’oeuvre illicite
Le prêt de main-d’oeuvre est illicite dès lors qu’il existe en dehors des exceptions prévues par la loi. Afin de mieux cerner les situations de fausses sous-traitances, le juge se réfère à des indices précis. Aussi, plusieurs critères permettent de caractériser le prêt de main-d’oeuvre illicite.
1. L’existence d’une technicité / d’un savoir faire
Le prêt de main-d’œuvre afin de réaliser des tâches spécifiques que l’entreprise utilisatrice ne possède pas en interne est autorisé. En effet, la sous-traitance prenant la forme d’un prêt de main-d’œuvre est justifiée par le besoin de l’entreprise utilisatrice qui nécessite de faire appel à une compétence extérieure.
Cette compétence particulière constitue l’objet du contrat de prestation précisant le savoir-faire et la technicité nécessaire à l’entreprise utilisatrice.
En revanche, le prêt de main-d’œuvre devient illicite dès lors qu’il ressort que la sous-traitance ne nécessite aucune spécificité ou technicité particulière de l’entreprise prêteuse (Cass. soc. n° 15-17873 du 7 décembre 2016 SOGETI FRANCE).
2. Le but lucratif du prêt de main-d’oeuvre
Rappelons que le Code du travail interdit toutes les opérations de prêt de main-d’oeuvre dont le but est lucratif. Par conséquent, le juge relèvera les indices révélant un gain financier pour les entreprises actrices de la sous-traitance.
À titre d’exemple, le prêt de main-d’œuvre dans un pays étranger afin de bénéficier d’un coût moindre et d’échapper aux charges liées au recours au travail temporaire constitue un prêt de main-d’œuvre illicite (Cass. crim. n° 03-82797 du 17 février 2004 EFUBA).
De même, la Cour de cassation considère que le caractère lucratif d’une opération peut résulter d’un accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel (Cass. crim. n° 09-69175 du 18 mai 2011 JOHN DEERE).
3. Le lien de subordination appartient à l’entreprise prêteuse
L’autre indice retenu par le juge concerne le transfert de lien de subordination. En effet, comme pour le délit de marchandage, le prêt de main-d’œuvre est illicite s’il révèle une transmission du pouvoir de direction entre entreprise utilisatrice et entreprise prêteuse.
Autrement dit, le prêt de main-d’oeuvre demeure licite tant que l’entreprise initiale conserve l’autorité sur son personnel et exerce un contrôle sur la réalisation du travail ; en revanche si l’entreprise utilisatrice intervient dans le contrôle du personnel prêté, le prêt de main-d’oeuvre devient illicite (Cass. crim. n° 04-87596 du 21 juin 2005 PMP SONOREL ).
4. La rémunération
La rémunération est centrale pour justifier d’un prêt de main-d’œuvre licite. Le prix d’une prestation rendue ne doit pas être établi selon une rémunération à l’heure sous peine de démontrer que seule la fourniture de main-d’œuvre est rémunérée.
Seule une rémunération dite « forfaitaire » peut justifier la licéité du prêt de main-d’œuvre.
Aussi, l’entreprise qui met ses salariés à disposition et qui facture « au temps passé » caractérise un prêt de main-d’œuvre interdit (Cass crim 16 mai 2000, n° 99-85.485).
Le prêt illicite de main-d’œuvre est très souvent concomitant au délit de marchandage puisque des points communs recoupent les deux infractions. Cependant le marchandage implique un préjudice pour le salarié ou bien la non-application de la loi. S’il n’y a pas de préjudice subi par le salarié et que la loi n’est pas éludée l’infraction n’est pas constituée.
En revanche, il n’est pas nécessaire de constater un préjudice subi par le salarié, ni le contournement de la loi ou d’un texte conventionnel pour caractériser le prêt illicite de main-d’œuvre car le caractère exclusif de la mise à disposition à titre onéreux suffit.